Intouchable. (Sunghae (feat. Ju Yeong) & Jiwan)

Cela faisait déjà une heure que j'attendais, assis en tailleur sur une grosse souche d'arbre, dans le parc de l'Académie. J'avais l'habitude que Ju Yeong soit en retard, la ponctualité ne faisait pas partie de son vocabulaire, mais tout de même... Il aurait pu au moins m'appeler pour s'excuser. Tournant et retournant mon portable entre mes mains, je m'impatiente. Le temps n'était pas mauvais, mais j'avais pas souvent de temps libre alors s'il pouvait m'éviter de gaspiller mon temps à l'attendre, ça aurait été bien sympa de sa part. Pour passer mon ennui, j'observe les gens qui passent, envoyant un clin d'oeil à la jolie fille qui me sourit, souriant au joli garçon qui me regarde avec insistance. Las, je m'apprêtai à retourner vaquer à mes occupations dans les couloirs du chateau quand, enfin, mon téléphone sonna. Je décrochai, debout à quelques pas de mon rocher, légèrement irrité.

- Tu fous quoi, Ju Yeong ?!
- Oh, calme toi ! Je suis à l'infirmerie.
- Avec l'infirmière canon ?
- Non, enfin, elle est partie. Là j'suis avec un type bizarre qui boit du lait de licorne.
- Du lait de licorne ? Je savais même pas que ça existait !

On continuait à discuter, et j'avançai vers un banc pour y poser mes fesses, sirotant une briquette de jus de citrouille que j'avais emporté dans mon sac. Il me raconta un peu sa vie. Non pas que je m'en foutais, mais j'aurais bien aimé y trouver un intérêt. Il me raconta pourquoi il était à l'infirmerie, comment il a fait pour se déboîter l'épaule, et aussi que Hyun-su lui avait dit de faire attention. Ah ! Enfin un sujet sur lequel je peux dire quelque chose.

- A propos de Hyun-su... Tu crois qu'il pourrait m'faire entrer dans sa chambre un de ces soirs ? J'ai entendu dire qu'y avait un lit de libre, et son camarade de chambre est vraiment canon.
- Heum... Je sais pas. Vois ça avec lui directement au pire, non ?
- Je sais pas si il...

Je n'ai pas eu le temps de finir ma phrase qu'un grand costaud vint projeter son ombre sur moi. Je levai la tête, et fus surpris par la couleur pourpre du regard du jeune homme qui me regardait droit dans les yeux. Je fermai machinalement mon portable, sans quitter le grand colosse des yeux. Au bout de quelques instants à le regarder droit dans les yeux, je finis par me rendre compte que j'étais complètement ridicule car j'avais pas vraiment de chances de l'impressionner avec mon regard de braise. J'ai donc fini par l'interroger.

- J'peux faire quelque chose pour toi ?

Je me promenais tranquillement dans le parc, profitant du temps moyen qui me permettait de prendre l'air sans me sentir agressé par la lumière du jour. Je n'avais pas assez de temps libre pour me rendre à l'hôpital, et bien que l'envie m'en rongeait, je ne pouvais pas sécher le seul cours qui m'en empêchait. J'avais déjà raté beaucoup trop de cours comme ça pour passer un peu de temps avec Hyunlee. Encore une absence injustifiée et je pouvais m'asseoir sur mon diplôme, et repousser le moment où je pourrais travailler pour offrir de bonnes conditions de vie à mon Jaebum. Il fallait donc que je tue le temps ici.

J'étais sous l'ombre d'un vieil arbre, relisant mon cours magistral de Défense Contre les Forces du Mal, et ne remarquai qu'à peine le garçon qui vint s'asseoir sur le banc à deux mètres de moi. Non pas parce qu'il avait une apparence particulière, mais parce qu'il me dérangeait dans ma lecture. Il était pendu au téléphone, parlant de choses et d'autres si bien que mon cours me semblait incompréhensible. Je n'arrivai pas à faire abstraction de ses paroles mélangées aux mots couchés sur le papier. Je m'apprêtai à lui demander poliment de se taire ou d'aller piailler ailleurs, quand une phrase m'interpella.

- A propos de Hyun-su... Tu crois qu'il pourrait m'faire entrer dans sa chambre un de ces soirs ? J'ai entendu dire qu'y avait un lit de libre, et son camarade de chambre est vraiment canon.

A l'entente de ces mots je ne pus m'empêcher de ressentir ce qui me semblait être comme une forme de jalousie. Hyun-su était le camarade de chambre de mon petit-ami, Hyunlee, qui certes avait bon nombre d'admirateurs, mais avant tout était à moi. On pouvait espérer, fantasmer, le regarder de loin, mais tenter sa chance était comme un affront envers moi, surtout qu'une bonne partie de l'Académie était au courant de notre relation. Je considérais toute tentative de me cocufier comme étant un affront personnel. Je vins me poster devant le jeune homme, le dominant de ma hauteur et projetant mon ombre sur son visage. Il leva les yeux, coupa cour à sa conversation et rangea le téléphone dans sa poche arrière. Il commença par me regarder dans les yeux, aussi ridicule qu'il puisse paraître puisque je faisais deux têtes de plus que lui et que j'étais deux fois plus large d'épaules, avant de se rendre à l'évidence : il ne pouvait pas m'impressionner.

- J'peux faire quelque chose pour toi ?

Quelle innocence. J'aurais pu m'en moquer, si seulement il ne m'avait pas préalablement tapé sur les nerfs. Je ne pris même pas la peine de lui répondre. Dans un excès de colère, je lui collai mon poing en pleine figure, le projetant au sol par-dessus le banc. Quelques personnes autour de nous s'arrêtèrent, regardèrent la scène. Je contournai ensuite le banc pour aller me pencher sur lui, avant de le saisir par le col et remonter son visage à hauteur du mien. Je sentais le sang me monter à la tête, je devais sûrement avoir une apparence plus démoniaque qu'à mon habitude. Le portable du garçon continuait à sonner, mais il ne répondait pas. Je le regardai dans les yeux, en rage. C'était la première fois que je frappais réellement quelqu'un. J'avais souvent menacé, ne serait-ce que pour m'assurer qu'on ne m'embête pas, mais cette fois mon poing est parti. Je ne mesurais pas encore très bien ma force, mais bien que je fus surpris par la portée de mon coup, je ne me démontai pas pour autant. Mon visage était si près du sien qu'il devait sûrement pouvoir sentir mon souffle bouillonnant.

- Ne t'avise jamais d'approcher Hyun Lee.

Mon ton était ferme, et on sentait dans ma voix un bouillonnement de rage. Je le lâchai finalement, et sa tête se cogna contre le tronc de l'arbre. Je restai planté là, à le regarder avec dégoût. Des chuchotements se faisaient entendre autour de nous.

Lorsqu'il me frappa au visage, je n'eu même pas le temps de réagir. J'étais déjà projeté à bonne distance, passant par-dessus le banc sur lequel j'étais assis deux minutes plus tôt, étalé sur le sol avec une douleur atroce au visage. Il avait abîmé mon visage. Mon précieux visage. Je tolérais qu'on me griffe, qu'on me morde, qu'on me donne des coups pendant l'acte mais qu'on me frappe au visage sans aucune bonne raison, non. J'aurais voulu riposter lorsqu'il s'approcha de moi mais il était trop rapide, trop fort, trop impressionnant. Quoi que j'essaie de lui faire, j'étais pas plus dangereux qu'un boursoufflet face à lui et son imposante silhouette. Il me souleva par le col et colla son front au mien, si bien que je sentais son souffle brûlant chatouiller mon nez, et que je ne pouvais pas regarder ailleurs que dans ses deux grands yeux féroces, noirs de haine avec un reflet rouge comme le sang. J'en eu des frissons. Qui c'était, ce type ? Un monstre ? C'est bien ce que laissait transparaître sa voix lorsqu'il articula distinctement ce qui me sembla être une menace.

- Ne t'avise jamais d'approcher Hyun Lee.

Oh, oh, c'était donc lui, le grand brun ténébreux de Hyun Lee ? J'en avais déjà entendu parler, mais jamais je n'aurais fait le rapprochement avec lui. Certes je l'avais déjà croisé dans les couloirs et il m'avait toujours fait un peu froid dans le dos, mais j'ignorai que ce joli garçon si précieux et coquet puisse se donner à un grand costaud qui fait peur comme celui-là. Je l'imaginais plus petit, juste un peu plus haut que moi, avec un peu de muscle et des cheveux mi-longs. Pas du tout le genre grosse-brute. Et encore moins le genre jaloux, étant donné le nombre interminable de personnes qui s'intéressaient à son petit protégé. Il me jeta par terre, avec une violence rare, et ma tête percuta le tronc d'un arbre. Ma vision devint floue. Les bruits de foule autour de moi me semblèrent lointains, comme si j'avais été sous l'eau. Quelle humiliation. J'étais sonné, devant tout le monde. Ma réputation allait en prendre un sacré coup. Lorsque le monde arrêta à peu près de tourner - je voyais quand même un peu double - je me relevai avec grande peine et me jetai sur mon agresseur. J'essayai de lui mettre un coup de poing, mais le ratai de peu. J'essayai à nouveau, et mon poing atterrit dans son ventre. Il ne bougea pas d'un poil. Je continuai à le rouer de coup, encore et encore, jusqu'à me rendre compte que ça me faisait plus de mal à moi qu'à lui.

- Mais qu'est ce que t'es ?!

Excédé par mon impuissance, je sortis ma baguette et la pointa sur lui, sous le regard ébahi de nos spectateurs. S'il avait une force incroyable, j'avais peut-être une chance en utilisant la magie. Même s'il semblait avoir quelques années de plus que moi et qu'il n'y avait pas grand monde qui suive moins les cours que je ne les suivais.

- Mobilicorpus !

Mon ennemi s'envola. Amusé, je le fis tourner dans les airs, lui souriant d'un air narquois.

- Ça, c'est pour avoir abîmé mon visage !

Puis je le projetai au loin, sous les rires de la foule. Je craignai certes une riposte, c'est pourquoi je gardai ma baguette en position de défense, prêt à lancer un sortilège de bouclier.

Mon coup de poing ne suffit pas à lui faire comprendre que je n'allais pas le laisser s'approcher de mon petit-ami, apparemment. Il se releva, essayant de me mettre un coup de poing. Je n'ai même pas eu besoin d'esquiver, il se rata tout seul et manqua de tomber. Ridicule. Ses petites mains essayèrent de me frapper à nouveau. Dans le ventre, au visage, et même dans les bijoux de famille ; mais rien de tout ça ne me fit le moindre mal. Il n'avait aucune chance de me battre. Tout ce qu'il parvenait à faire était de se rendre ridicule en public.

- Mais qu'est ce que t'es ?!

Ces mots, par contre, me blessèrent. Qu'est ce que j'étais ? Pas un humain, pas un démon. Une erreur. Cette question hantait mes pensées et me rongeait de l'intérieur, jour et nuit, depuis ma plus tendre enfance - si tant est que j'en aie eue une. Mais j'étais aussi, un père. Un petit-ami. Un sorcier. Un élève. Un monstre. Un Coréen. Un jaloux. Un ami. Un adversaire. J'étais tant de choses et si peu à la fois...

- Mobilicorpus !

Il avait réussi - peut-être inconsciemment - à me déstabiliser suffisamment pour que je n'aie pas le réflexe de sortir ma baguette et contrer le sort. Je me retrouvais dans les airs, tournoyant sans pouvoir me défendre, puis jeté violemment au sol.

- Ça, c'est pour avoir abîmé mon visage !

Je me relevai, sans grandes difficultés mais un peu sonné quand même, avant de saisir ma baguette. Je lui lançai le plus sombre de mes regards. Il m'avait défié. J'allais faire honneur à son défi. Je ne craignais pas les sortillèges aussi basique. Ils pouvaient me ralentir mais pas me faire de mal. Cependant je voulais revenir au corps à corps. La magie ça va bien deux minutes, mais c'est lâche. Alors je revint à grands pas vers lui, la baguette brandie devant moi.

- Expelliarmus ! C'est bien, de faire le malin comme ça, mon petit. Mais tu vois, ton visage, j'en ai rien à faire. J'en voudrais même pas en paillasson pour y essuyer mes pieds en rentrant des écuries.

J'arrivais finalement juste devant lui. Je lui pris le menton et lui relevai la tête pour qu'il me regarde droit dans les yeux. Il saignait à la joue et à la lèvre.

- Oh, pauvre chose, je t'ai bien amoché... C'est dommage, mon copain juge beaucoup sur les apparences. Comme beaucoup de monde. Tu vas survivre sans sexe pendant une bonne semaine ?

L'attroupement autour de nous était de plus en plus dense. Mes lèvres se plièrent en un sourire narquois.

Je n'en revenais pas. Malgré la force avec laquelle ma magie l'avait projeté au sol, il se relevait tranquillement, sans aucune séquelle. Il saignait un peu à l'arcade mais ne s'en souciait même pas. Il leva sa baguette vers moi, s'avançant à grandes enjambées jusqu'à parvenir à ma hauteur.

- Expelliarmus ! C'est bien, de faire le malin comme ça, mon petit. Mais tu vois, ton visage, j'en ai rien à faire. J'en voudrais même pas en paillasson pour y essuyer mes pieds en rentrant des écuries.

Sa grosse main vint bafouer mon joli petit meton, et il releva ma tête vers la sienne. Un instant j'ai eu peur que cet effrayant monsieur-pas-beau allait m'embrasser, et cette pensée me donna presque un haut le coeur. C'était loin d'être mon genre. Je préférais les jolis garçons, un peu efféminés et qui avaient du style. Les types bizarres dans son genre c'était vraiment pas ma tasse de thé.

- Oh, pauvre chose, je t'ai bien amoché... C'est dommage, mon copain juge beaucoup sur les apparences. Comme beaucoup de monde. Tu vas survivre sans sexe pendant une bonne semaine ?

Ouf, il n'avait pas l'intention de m'embrasser. Mais par contre, son sourire et le regard insistant qu'il avait envers mes blessures me laissèrent perplexe. C'était moi ou... ses yeux brillaient ? On aurait dit qu'il était soudainement attiré par le sang. Je me dégageai alors de toutes mes forces de son emprise.

- Un... Un vampire ?!

Titubant, je fis quelques pas en arrière. Il me faisait soudainement beaucoup plus peur qu'au début. Tout tenait debout. Son aura étrange, son regard changeant de couleur, sa force sur-humaine, et maintenant l'intérêt qu'il portait à mes blessures. Mais comment un vampire avait-il obtenu une baguette ?

- Un... Un vampire ?!

J'eus l'impression qu'on me poignardait. Je fus pris soudainement de sueurs froides, et il me semblait qu'à présent le silence régnait autour de nous. Je n'entendais plus rien d'autre que les battements de mon propre coeur. Je le rattrape et lui plante la baguette sous le menton, rouge de rage, une veine palpitant sur ma tempe.

- BLOCLANG !

Il ne pouvait maintenant plus prononcer la moindre parole. J'en profitai pour faire mon propre petit discours, d'une voix rauque et méchante, dans son oreille.

- Ne t'avise plus de me comparer à ces monstres. Ni de prononcer leur nom en ma présence. Je pourrais bien te broyer les os un par un si jamais tu fais encore le malin comme ça.

Je le jette une dernière fois au sol, avant de m'éloigner d'un pas lourd. Moi qui voulais profiter un peu du grand air, j'étais finalement contraint à rentrer cacher mon affreux visage démoniaque à l'ombre de ma chambre. En espérant ne pas croiser Hyun Lee dans l'état où j'étais. S'il me voyait comme ça... Je pourrais bien risquer de le perdre.